Mécanismes de défense et simulacre existentiel
Nous utilisons tous de ce mécanisme. Présent ponctuellement et en petites quantités ce désaveu de la réalité participe à une stratégie inconsciente de gestion émotionnelle. Chacun de nous peut l’utiliser comme la première réaction à toute catastrophe. Par exemple, informés du décès d’un être cher, notre la première réponse est généralement « Oh, non ! » Cette réaction est l’ombre d’un processus archaïque enraciné dans la phase prélogique que traverse tout enfant. La conviction que « si je ne le reconnais pas, cela ne se produit pas » peut perdurer chez l’adulte.
En conséquence, la plupart d’entre nous utilisent occasionnellement le déni, afin de rendre la vie moins désagréable ou pour protéger son narcissisme. Une personne dont les sentiments sont blessés dans des situations où il est inapproprié de pleurer est plus susceptible de nier inconsciemment les sentiments douloureux que de les reconnaître pleinement.
Le déni est une omission inconsciente d’une perception, d’une information menaçante qui excèdent les ressources de l’individu. Il peut durer le temps nécessaire pour que la personne arrive à faire face à la réalité. Ainsi, un patient au moment de l’annonce du diagnostic de maladie grave ne pourra l’entendre, tant la menace est choquante. Mais après un temps, petit à petit, le déni s’assouplira ou lâchera partiellement, laissera place à la dénégation, puis le patient finira d’intégrer plus lucidement l’information. Ce déni temporaire de la maladie incurable et donc de la mort, est une défense nécessaire pour éviter l’effondrement psychique et le débordement de la souffrance.
Le déni massif
Mais lorsqu’il est massif, le déni sous-tend différents symptômes psychiques tel le délire ou le fétichisme. Ce mécanisme se retrouve aussi dans les perversions, où il soutient la falsification de la réalité, ou encore dans l’alcoolisme. Se protéger de la perception de la réalité permet ainsi à l’alcoolique de conserver une bonne image de soi. En même temps il l’empêche de prendre conscience de son trouble et en conséquence de se soigner.
Nous pouvons dénier une part pulsionnelle de notre propre fonctionnement (déni du désir ou de la dépression) ou rejeter la réalité ou la qualité, souvent la différence, de l’autre. La représentation déniée est alors remplacée par une autre représentation, ne tenant pas compte de la réalité. Par exemple, les adultes qui ont manqué d’amour et de soins dans leur enfance ou qui étaient molestés, s’imaginent malgré tout avoir eu une bonne famille. Le déni leur permet de se défendre contre la perte d’images de bons parents. Ainsi ils peuvent continuer à croire qu’ils ont eu une famille bienveillante et qu’ils ont étés entourées d’amour.
Dans la perversion le déni est un mécanisme fondamental de la relation du pervers avec le monde et avec l’autre. Le sentiment de la toute-puissance du pervers s’appuie sur son déni de la castration.
Le fonctionnement basé sur le déni est souvent l’héritage familial et se communique dès les premières relations avec les parents. Ainsi, dans les familles touchées par la maladie alcoolique ou par la violence, tous les membres fonctionnent dans une forme de communauté de déni. Ça se passe comme si la famille imposait une préfiguration (grille de lecture) de la réalité qui ferme, par une injonction plus ou moins tacite, l’accession à des nouvelles perceptions. Tous partagent une cécité complaisante.
Le déni et les fuites en avant
L’opération du déni peut conduire à nier nos limitations physiques, comme le besoin de sommeil par exemple voire la finitude. La manie rend les limitations insignifiantes, menant le sujet dans l’hyperactivité ou dans les addictions aux sports ou encore dans la défonce professionnelle. Cela se produit dans les états d’hypomanie qui utilisent le déni comme principal moyen de défense. Mais cette utilisation forcenée du déni a ses limites et la phase maniaque est immanquablement suivie de son effondrement à mesure que la personne s’épuise. Nous parlons alors de « cyclothymie » en raison de l’oscillation entre les humeurs maniaques et dépressives.
Les personnes légèrement hypomaniaques peuvent être très agréables à vivre et très appréciées. Leur charme, leur esprit vif, leur énergie inépuisable, leur espièglerie peuvent nous attirer. D’aucuns admirent leur bonne humeur contagieuse qui caractérisent ceux qui réussissent à filtrer et à dissimuler les affects douloureux pendant de longues périodes. Pourtant, les dessous dépressifs de ces personnes est palpable, souvent visible pour leurs amis les plus proches, et le coût psychique exigé est élevé.