Dépendance et addiction

Dépendance et addiction désignent le même phénomène. Les deux annoncent une dépendance à une substance ou une activité avec une perte de contrôle dont des conséquences sont délétères.

La notion de dépendance est plus ancienne et utilisée pour décrire cette perturbations de la vie psychique depuis les années 50 du siècle dernier alors que la notion daddiction fut introduite plus récemment.

Dépendance et addiction

homme expirant la fumée pexels illustre Dépendance et addictionddiction

Le développement du concept d’addiction est récent et contemporain à la progression des addictions dans notre société occidentale. La société moderne est addictogène[1] dans ce sens qu’en attribuant une importance sans précédent à la jouissance individuelle et à la valorisation narcissique elle distord les liens objectaux. Elle efface les différences de sexe et de génération, elle abolit les limites et supprime les lois qui constituent un contenant rassurant et protecteur. En prônant la recherche de plaisir immédiats, en donnant priorité aux images au détriment de la mise en récit, elle favorise la réalisation immédiate du désir et génère le vide identificatoire.

Malaise dans la civilisation

Il y a plus de cent ans, Sigmund Freud évoquait dans le contexte d’un autre « Malaise dans la civilisation » la fonction prothétique des toxiques. Depuis de nombreux psychanalystes se sont attachés à comprendre la fonction des addictions dans le fonctionnement psychique et à rechercher la causalité psychique de la dépendance. Certaines personnes sont en effet prédestiné devenir alcoolique ou toxicomane par leur histoire de vie. Des parents défaillants, qui ne s’aiment pas, qui parfois se lient par la naissance même de l’enfant, parents malades ou traumatisés peuvent ne pas en être en capacité de choyer l’enfant. Bien au contraire, l’enfant est négligé, brutalisé, malmené, maltraité et subit des violences.

Comprendre l’addiction et son rôle dans le fonctionnement psychique et leur signification psychopathologique est nécessaire pour de définir une approche clinique adaptée.

Émersion de la notion d’addiction

La notion de l’addiction a été introduite en psychopathologie pour regrouper sous cette appellation les tableaux cliniques connus auparavant en tant que des dépendances distinctes : à l’alcool, aux drogues, au tabac. La notion de « dépendance » est elle-même d’apparition récente en psychopathologie. En effet, ce n’est que dans les années 1950 que la notion de la dépendance fut recommandée par l’OMS pour remplacer celle d’« accoutumance », de « toxicomanie » et d’ «alcoolisme». Progressivement, le concept d’addiction englobe également les addictions sans substance[2], appelées aussi les addictions comportementales : au jeu, au sexe, au sport, aux achats, à Internet ainsi que la dépendance relationnelle puis l’anorexie et la boulimie, en autres.

Femme devant une bouteille d'alcool illustre Dépendance et addiction

Malgré le fait que les communautés scientifiques et les praticiens s’interrogeaient sur la pertinence d’un tel regroupement, de son intérêt clinique et thérapeutique et sur sa valeur heuristique par rapport à la notion de la dépendance, il a trouvé une application pratique dans l’organisation institutionnelle des soins qui depuis la première décennie du XXI siècle s’organisent dans les CSAPA (Centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie) qui englobent les anciens CCAA (Centre de Cure Ambulatoire en Alcoologie) et CSST (Centre de Soins Spécialisés Aux Toxicomanes).

Dépendance et addiction dans différents contextes psychopathologiques

Alors que dans les pays anglo-saxons le terme « addiction » était utilisé dans le contexte de la psychologie du moi et de la psychologie cognitive dans les années 1970, en France c’est la psychanalyste  Joyce McDougall qui introduit la notion dans son ouvrage « Le plaidoyer pour une certaine anormalité » publié en 1978. Elle compare  la sexualité addictive aux autres addictions qui sont pour elle des exemples « d’un objet pris comme substitut maternel ».[3] D’origine Néo-Zélandaise (donc anglophone) J. McDougall fait une découverte étymologique qui la pousse à privilégier le terme anglais d’addiction » au terme français « toxicomanie ». Elle explique dans « Théâtres du Je » :

« J’ai choisi le terme anglais d’addiction, plutôt que son équivalent français de « toxicomanie », parce qu’il est plus parlant du point de vue étymologique.  « Addiction » renvoie à l’état d’esclavage, donc à la lutte inégale du sujet avec une partie de lui-même, tandis que la toxicomanie indique un désir de s’empoisonner.  Or, telle n’est pas la visée originelle dudit « toxicomane ». Pour l’« addicté » (que son addiction soit boulimique, tabagique, médicamenteuse, alcoolique ou celle des opiacés), son objet n’est pas vécu comme mauvais ; au contraire, il est recherché comme recelant tout ce qui est « bon », tout ce qui, dans des cas extrêmes, donne sens à la vie »[4]. L’objet addictif représente une solution magique de survie, une présence qui ne pourrait faire défaut et il sert de protection contre la prise de conscience. L’addiction fait économie du travail d’élaboration psychique.

  1. McDougall se réfère au terme anglais de « addiction » qui vient du latin addico, addicere, addixi, addictum, signifiant “dire à”, “adjuger, et qui en droit romain désignait le fait qu’un individu incapable de payer ses dettes se trouvait “adonné” à son créancier. Ce dernier avait alors le droit de disposer entièrement de sa personne comme d’un esclave. Il s’agit, en quelque sorte, de donner sa personne, son corps en gage pour une dette impayée.

L’état d’assujettissement

Les termes dérivés addictio signifiant “adjudication, “assujettissement” et “addictus”, participe passé signifiant “adjugé qui désignait l’esclave ont servi à J. McDougall  d’inspiration pour développer le concept de la personne dépendante qui serait esclave d’une seule solution pour échapper à la douleur psychique. La dette impayée, léguée par l’environnement dont la faillite a mis en échec le  développement du futur sujet addicté et l’a amené à s’appuyer sur la prothèse « addictive » pour palier au défaut de l’intériorisation de la fonction soignante.

Quelque soit l’addiction, et il en existe un grand nombre, la souffrance psychique sous-tend le recours aux produits. Les plus fréquentes sont celles relatives aux substances psychoactives comme alcool ou cannabis. Certaines sont détournées de leur usage comme c’est le cas de médicaments, poppers, colles ou solvants, d’autres sont interdites (, ecstasy, cocaïne…), Régulièrement, de nouvelles substances à potentiel addictif émergent comme tentative de réponse au désarroi de l’homme moderne perdu dans les confusions multiples imposées. Ainsi nous avons constaté l’usage de protoxyde d’azote contenu dans les cartouches de siphons à chantilly ou de nouveaux produits de synthèse tels MDMA ou cathinones. Toutes ces substances provoquent un effet immédiat mais variable sur les perceptions, l’humeur et le comportement et sont recherché à ce titre. Cependant, toutes exposent à un risque de dépendance plus ou moins rapide et plus ou moins sévère.
L’usage croissant est soutenu par une industrie puissante qui conditionne une demande grandissante et l’accès à ces produits s’est considérablement banalisé.

Lire aussi : Addiction et souffrance psychique

[1] Voir les travaux de Pedinielli, de Jeammet et Corcos, de Morel.

[2] Freud évoquait déjà l’addiction sans substrat matériel en décrivant la passion du jeu chez Dostoïewski. Il la comprenait comme manifestation symptomatique, l’autopunition liée à la culpabilité dans le cadre d’une névrose obsessionnelle. « Dostoïevski et le parricide » dans « Résultats, idées problèmes II, PUF, 1992, p 161-179.

[3] McDougall, J. « Plaidoyer pour une certaine anormalité », Gallimard, Paris, 1978, p 198-199

[4] McDougall, J. Théâtres du Je, Gallimard, Paris, 1982, p75

Dépendance et addiction – développement de nouveaux concepts

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