Dépendance et addiction dans différents contextes psychopathologiques
Alors que dans les pays anglo-saxons le terme « addiction » était utilisé dans le contexte de la psychologie du moi et de la psychologie cognitive dans les années 1970, en France c’est la psychanalyste Joyce McDougall qui introduit la notion dans son ouvrage « Le plaidoyer pour une certaine anormalité » publié en 1978. Elle compare la sexualité addictive aux autres addictions qui sont pour elle des exemples « d’un objet pris comme substitut maternel ».[3] D’origine Néo-Zélandaise (donc anglophone) J. McDougall fait une découverte étymologique qui la pousse à privilégier le terme anglais d’addiction » au terme français « toxicomanie ». Elle explique dans « Théâtres du Je » :
« J’ai choisi le terme anglais d’addiction, plutôt que son équivalent français de « toxicomanie », parce qu’il est plus parlant du point de vue étymologique. « Addiction » renvoie à l’état d’esclavage, donc à la lutte inégale du sujet avec une partie de lui-même, tandis que la toxicomanie indique un désir de s’empoisonner. Or, telle n’est pas la visée originelle dudit « toxicomane ». Pour l’« addicté » (que son addiction soit boulimique, tabagique, médicamenteuse, alcoolique ou celle des opiacés), son objet n’est pas vécu comme mauvais ; au contraire, il est recherché comme recelant tout ce qui est « bon », tout ce qui, dans des cas extrêmes, donne sens à la vie »[4]. L’objet addictif représente une solution magique de survie, une présence qui ne pourrait faire défaut et il sert de protection contre la prise de conscience. L’addiction fait économie du travail d’élaboration psychique.
- McDougall se réfère au terme anglais de « addiction » qui vient du latin addico, addicere, addixi, addictum, signifiant “dire à”, “adjuger”, et qui en droit romain désignait le fait qu’un individu incapable de payer ses dettes se trouvait “adonné” à son créancier. Ce dernier avait alors le droit de disposer entièrement de sa personne comme d’un esclave. Il s’agit, en quelque sorte, de donner sa personne, son corps en gage pour une dette impayée.
L’état d’assujettissement
Les termes dérivés addictio signifiant “adjudication”, “assujettissement” et “addictus”, participe passé signifiant “adjugé” qui désignait l’esclave ont servi à J. McDougall d’inspiration pour développer le concept de la personne dépendante qui serait esclave d’une seule solution pour échapper à la douleur psychique. La dette impayée, léguée par l’environnement dont la faillite a mis en échec le développement du futur sujet addicté et l’a amené à s’appuyer sur la prothèse « addictive » pour palier au défaut de l’intériorisation de la fonction soignante.
Quelque soit l’addiction, et il en existe un grand nombre, la souffrance psychique sous-tend le recours aux produits. Les plus fréquentes sont celles relatives aux substances psychoactives comme alcool ou cannabis. Certaines sont détournées de leur usage comme c’est le cas de médicaments, poppers, colles ou solvants, d’autres sont interdites (, ecstasy, cocaïne…), Régulièrement, de nouvelles substances à potentiel addictif émergent comme tentative de réponse au désarroi de l’homme moderne perdu dans les confusions multiples imposées. Ainsi nous avons constaté l’usage de protoxyde d’azote contenu dans les cartouches de siphons à chantilly ou de nouveaux produits de synthèse tels MDMA ou cathinones. Toutes ces substances provoquent un effet immédiat mais variable sur les perceptions, l’humeur et le comportement et sont recherché à ce titre. Cependant, toutes exposent à un risque de dépendance plus ou moins rapide et plus ou moins sévère.
L’usage croissant est soutenu par une industrie puissante qui conditionne une demande grandissante et l’accès à ces produits s’est considérablement banalisé.
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Lire aussi : Addiction et souffrance psychique
[1] Voir les travaux de Pedinielli, de Jeammet et Corcos, de Morel.
[2] Freud évoquait déjà l’addiction sans substrat matériel en décrivant la passion du jeu chez Dostoïewski. Il la comprenait comme manifestation symptomatique, l’autopunition liée à la culpabilité dans le cadre d’une névrose obsessionnelle. « Dostoïevski et le parricide » dans « Résultats, idées problèmes II, PUF, 1992, p 161-179.
[3] McDougall, J. « Plaidoyer pour une certaine anormalité », Gallimard, Paris, 1978, p 198-199
[4] McDougall, J. Théâtres du Je, Gallimard, Paris, 1982, p75